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chœus Nesmer seul s’était obstiné à rester en Allemagne, et on l’avait trouvé, un beau jour, percé d’un coup d’épée, sur les bords du Mein, à cinquante pas du corps de garde autrichien…

Parmi les circonstances bizarres de cette lutte, qui avait amené la mort d’un personnage aussi considérable que le patricien Nesmer, on remarquait celle-ci :

Les trois bâtards avaient su toujours se tenir à distance de leurs adversaires. Aucun de ces derniers ne les connaissait personnellement. On affirmait même que le patricien Zachœus était allé jusqu’à donner sa confiance à l’aîné des bâtards, qui, sous un nom d’emprunt, avait été longtemps chargé du principal emploi dans sa maison de commerce, et qui avait pénétré ses plus intimes secrets…

Quoi qu’il en soit, ce meurtre n’était point resté longtemps impuni. Malgré leur adresse consommée, les fils d’Ulrich avaient donné dans un piège de la police, qui les tenait sous clef dans la prison de Francfort. Comme il n’y avait point contre eux de preuves positives, les tribunaux retardaient de jour en jour leur jugement, et l’opinion générale était que leur captivité préventive devait indéfiniment se prolonger.

Tout le monde accordait hautement ses regrets à la triste fin du patricien Nesmer ; mais une sorte d’intérêt mystérieux s’attachait aux trois déshérités, qui étaient beaux et braves, et dont chacun connaissait pour un peu la malheureuse histoire.

On n’aurait pas trouvé peut-être dans tout Francfort un homme qui les eût vus face à face : car depuis leur plus extrême jeunesse, ils étaient obligés de s’entourer de précautions infinies et de fuir tous les regards ; mais il y avait les ouï-dire : on avait entendu sur leur compte d’étranges récits. On savait la longue série de malheurs qui avaient pesé sur leur jeunesse : le comte Ulrich, leur père, victime d’un meurtre impuni ; leur sœur Margarethe, morte à vingt ans, pleine d’avenir et de beauté ; eux-mêmes enfin, pauvres et sans nom, après avoir espéré la fortune et les titres paternels !…

Les anciens vassaux de Rothe parlaient d’eux avec enthousiasme. Les anciens vassaux de Bluthaupt mêlaient la vague connaissance qu’ils avaient d’eux aux mille croyances superstitieuses répandues autour du vieux schloss.