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Devant le berceau de l’enfant, il y avait trois hommes, vêtus de longs manteaux écarlates. Leurs visages disparaissaient sous les bords rabattus de leurs feutres. — Ils tenaient à la main des schlœgers nus, dont les lames brillantes renvoyaient en étincelles la lumière voilée des lampes…

C’était la vision de Gertraud.

Le Madgyar arrivait le dernier, mais sa haute taille lui permit de voir par-dessus les têtes de ses compagnons. — Il était encore à moitié ivre.

En apercevant trois hommes armés, il poussa un rugissement de joie.

— Faites-moi place ! s’écria-t-il ; — le poison est à vous, mais les épées sont à moi !… Arrière !

Il se fraya une route à travers les rangs silencieux de ses compagnons et s’élança au milieu de la chambre, le sabre à la main.

L’un des Hommes Rouges quitta le berceau, et fit un pas au-devant de lui. — Avant de croiser le fer, il jeta son feutre derrière lui et découvrit un noble visage d’adolescent, pâli par la tristesse.

Le madgyar, au lieu de frapper, mit sa main au-devant de ses yeux soudainement éblouis ; son visage enflammé devint livide et ses doigts transis laissèrent échapper le sabre qui tomba sur le plancher. — C’était pour lui comme une vision terrible. — Il recula chancelant et vaincu.

— Ulrich ! s’écria-t-il d’une voix étranglée. — C’est le comte Ulrich qui est sorti de son tombeau !…




Au jour, les gens de Bluthaupt pénétrèrent dans la chambre de la comtesse Margarethe.

Quelques-uns d’entre eux affirmaient avoir entendu dans la nuit les vagissements d’un enfant nouveau-né.

Ils trouvèrent le corps du vieux comte couché sur le carreau ; — celui de la comtesse Margarethe était étendu sur son lit. Son doux visage, encadré par les boucles de ses beaux cheveux blonds, semblait encore sourire. Sa bouche restait entr’ouverte, comme si le dernier sommeil l’eût surprise au moment où elle murmurait une prière.

Le berceau, paré de dentelles et de fleurs, avait disparu, ainsi que la jeune suivante Gertraud.