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LE BOSSU.

faisait jaloux ? C’était la joie d’autrui… Les autres étaient beaux, les autres avaient des pères et des mères… Avaient-ils du moins pitié, les autres, de celui qui était seul et brisé ? Non… tant mieux ! ce qui a fait mon âme, ce qui l’a durcie, ce qui l’a trempée, c’est la raillerie et c’est le mépris… Cela tue quelquefois… cela ne m’a pas tué… la méchanceté m’a révélé ma force… une fois fort, ai-je été méchant ?… Mes bons maîtres… ceux qui furent mes ennemis ne sont plus là pour le dire !

Il y avait quelque chose de si étrange et de tellement inattendu dans ces paroles, que chacun faisait silence. Nos roués, saisis à l’improviste, avaient perdu leurs sourires moqueurs. Gonzague écoutait, attentif et surpris.

L’effet produit ressemblait au froid que donne une vague menace.

— Dès que j’ai été fort, poursuivit le bossu, une envie m’a pris : j’ai voulu être riche… Pendant dix ans, peut-être plus, j’ai travaillé au milieu des rires et des huées… le premier denier est difficile à gagner, le second moins, le troisième vient tout seul… Il faut douze deniers pour faire un sou tournois, vingt sous pour faire une livre… J’ai sué du sang pour conquérir mon premier louis d’or… je l’ai gardé…