Page:Féval - Le Bossu (1857) vol 4-6.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.
151
LE BOSSU.

haussant son front jusqu’à ses lèvres ; tiens ! regarde le bonheur que tu fais ! je ris, je pleure… je suis ivre et fou !… Oh ! te voilà donc à moi, Aurore, toute à moi ! Mais que disais-je tout à l’heure ? s’interrompit-il ; ne crois pas ce que j’ai dit, Aurore… je suis jeune… oh ! j’ai menti ! je sens déborder en moi la jeunesse, la force, la vie… Allons-nous être heureux ! heureux longtemps !… Cela est certain, adorée, ceux de mon âge sont plus vieux que moi… sais-tu pourquoi ? je vais te le dire. Les autres font ce que je faisais avant d’avoir rencontré ton berceau sur mon chemin… Les autres aiment, les autres boivent, les autres jouent… que sais-je ?… les autres, quand ils sont riches comme je l’étais, riches de vigueur et d’ardeur, riches de désirs, riches de téméraire courage, les autres s’en vont prodiguant follement le trésor de leur jeunesse… Tu es venue, Aurore : je me suis fait avare aussitôt… Un instinct providentiel m’a dit d’arrêter court ces largesses de sang, d’amour et de cœur… j’ai thésaurisé pour te garder tout… j’ai renfermé la fougue de mes belles années dans un coffre-fort… je n’ai plus rien aimé, rien désiré… ma passion, sommeillante comme la Belle au bois dormant, s’éveille, naïve et robuste comme si mon cœur n’avait que vingt ans… Tu m’é-