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LA VAMPIRE

L’autre, celle qui n’avait pas encore de nom pour lui, celle qui l’enlaçait avec une terrible science dans les liens de la passion coupable.

Celle qui avait l’irrésistible prestige de l’inconnu, l’attrait du roman, la séduction du mystère.

Les jours suivants, l’obsession continua. Il semblait que ce fût un parti pris de l’entourer d’un vague réseau où l’appât, toujours tenu à distance, fuyait sa main et se montrait de nouveau pour prévenir le découragement ou la fatigue.

Il recevait des lettres, on lui assignait des rendez-vous, s’il est permis d’appeler ainsi de courtes et fugitives rencontres où la présence d’un tiers invisible empêchait l’échange des paroles.

On l’aimait. La persistance de ces rendez-vous, qui jamais n’aboutissaient, en était une preuve manifeste. On eût dit la gageure obstinée d’une captive oui lutte contre son geôlier.

À moins que ce ne fût une audacieuse et impitoyable mystification.

Mais le moyen de croire à un jeu ! Dans quel but cette raillerie prolongée ? D’un côté il y avait un pauvre gentillâtre de Bretagne, un étudiant obscur ; de l’autre une grande dame, — car à cet égard, René n’avait pas l’ombre d’un doute ; son inconnue était une grande dame.

Elle avait à déjouer quelque redoutable surveillance. Elle faisait de son mieux. Quoi de plus complet que l’esclavage d’une noble position ?

On écrivait à René : « Venez, » il accourait. Tantôt c’était en pleine rue : il croisait une voiture dont les stores fermés laissaient voir une blanche main qui parlait ; tantôt c’était aux Tuileries, où le vent soulevait le coin d’un voile tout exprès pour montrer un ardent sourire et deux yeux qui languissaient, c’était, le plus souvent, dans les églises ; alors on lui glissait une parole ; l’eau bénite donnée et reçue permettait un rapide serrement de main.

Et la fièvre de René n’en allait que mieux. Son désir, sans cesse irrité, jamais satisfait, arrivait à l’état de supplice. Il maigrissait, il pâlissait.

Angèle et ses parents souffraient par contrecoup.

Parfois la mère disait : C’est le mariage qui tarde trop. René a le mal de l’attente ; le mariage le guérira.

Mais le patron secouait sa tête blanche et Angèle souriait avec mélancolie.

Angèle sortait souvent, depuis quelque temps.

Si vous l’eussiez rencontrée dans ces courses solitaires, vous auriez dit : Elle va au hasard.

Mais elle avait un but. — Chaque fois qu’avaient lieu ces