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LA VAMPIRE

années, a pris la peine de nous enseigner de tous autres noms, latins ou grecs. Chacun se souvient des classiques admirations de son professeur pour le poignard de Brutus.

« En plein sénat, messieurs ! en plein sénat ! » nous disait le nôtre, qui pourtant recevait de César un traitement de mille écus par an, ni plus ni moins.

Il ajoutait :

« C’était bien le vir fortis et ubicumque paratus. Le gaillard n’avait pas froid aux yeux ! En plein sénat, messieurs, en plein sénat ! »

Cassius, le collaborateur, avait aussi sa part d’éloges.

Et l’on partait de là pour dire quelque chose d’aimable à propos de tous les citoyens qui, depuis Harmodius et Aristogiton, jusqu’aux amis de Paul Ier de Russie, engagèrent précisément ce tournoi que Georges Cadoudal proposait au premier consul.

Depuis que César a fait un livre, on prétend, cependant, que le poignard de Brutus est un peu moins préconisé dans nos collèges ; mais le livre de César est tout jeune, et nous qui fûmes élevés par l’Université dans le respect amoureux de l’homme et de son instrument, nous éprouvons un certain embarras à renier les admirations qui nous furent imposées : « En plein sénat, messieurs ! »

Et applaudissez, ou gare la retenue !

Un jour viendra peut-être où l’Université, convertie à des sentiments moins féroces, aidera César à corriger les épreuves de son livre. Espérons que, ce jour-là, le poignard de Brutus, définitivement mis à la retraite, se rouillera dans les greniers d’académie. Ainsi soit-il !

Mais je demande au ciel et à la terre ce que l’Université, avant sa conversion, pouvait reprocher à l’épée de Georges Cadoudal.

René de Kervoz neveu de Cadoudal n’était point mêlé à ses intrigues désespérées. Il suivait à Paris les cours de l’École de droit et se destinait à la profession d’avocat. Nous devons dire que son oncle lui-même l’écartait des voies dangereuses où il marchait. Une sincère affection régnait entre eux.

De la conspiration dont son oncle était le chef René connaissait ce qui était à peu près au vu et au su de tout le monde ; car la police, nous l’avons dit déjà, est souvent dans la position de ces maris trompés qui seuls ignorent leur malheur.

À Paris, l’affaire Cadoudal était le secret de la comédie. Tout le monde en parlait. À peine peut-on dire que la demeure du terrible Breton fût un mystère.

Le mystère, et c’en est un grand assurément, gît tout entier dans le chronique aveuglement de la police.