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LA VAMPIRE

L’ombre féminine dessinée avec netteté par la lumière qui l’éclairait à revers portait sur le rideau transparent. On voyait sa taille déliée et les détails légers de sa coiffure où le jour semblait jouer entre les boucles mobiles de ses cheveux.

— Ses cheveux ! dit encore Angèle, ses cheveux blonds ! jamais il n’y en a eu de pareils ! Je crois distinguer leurs reflets d’or… Elle est trop belle Oh ! Réné, mon Réné, ne l’aime pas ; on ne peut pas avoir deux amours… Si tu ne m’aimais plus je mourrais……

Sur le rideau révélateur deux mains se joignirent.

Angèle se redressa, galvanisée par sa terrible angoisse.

— Mais avant de mourir, fit-elle, je combattrai ! Je suis forte ! j’ai du courage ! Et qui donc l’aimera comme moi ? Il est à moi…

Elle s’affaissa de nouveau sur la borne. Autour de la fine taille, là-haut, un bras galant venait de se nouer derrière les rideaux de mousseline.

Angèle balbutia encore :

— Je suis forte… je combattrai…

Mais elle chancelait et sa gorge râlait.

Ses deux mains glacées pressèrent son front.

— C’est un rêve ! un rêve affreux ! dit-elle ; je veux m’éveiller.

Sa voix s’étrangla dans son gosier. Les deux ombres tournaient sur le rideau et présentaient maintenant leurs profils : deux profils jeunes et charmants.

Une douleur navrante étreignit la poitrine d’Angèle. Elle eut l’angoisse de l’attente, car ce fut lentement, lentement, que les deux bouches se réunirent en un étroit et long baiser.

Angèle tomba comme une masse inerte sur le pavé.

Du capuchon détaché de sa mante ses cheveux dénoués s’échappèrent et ruisselèrent : des cheveux plus beaux, plus brillants, plus doux que ceux de l’enchanteresse elle-même.

La silhouette de femme se retira la première et s’enfuit, tandis qu’un retentissant éclat de rire passait à travers les carreaux.

L’ombre de René se prit à la poursuivre.

Puis la troisième fenêtre de la façade s’éclaira brillamment tout à coup. Les deux ombres y passèrent entrelacées et disparurent.

Mais Angèle ne voyait plus rien de tout cela. Son pauvre corps inerte s’étendait tout de son long ; entre son front et le pavé il n’y avait que ses cheveux épars, ses pauvres cheveux

Une demi-heure après seulement, un groupe de fainéants quittant la berge du quai de Béthune passa.