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LA VAMPIRE

gigantesques croisées, derrière lesquelles on devinait des rideaux de mousseline, drapés largement.

Elle vit, comme on voit les choses en rêve, un de ces rideaux se soulever à demi et une tête paraître. Les lueurs de la lune n’en éclairaient plus que les reliefs, et c’était si vague !…

Une jeune tête, une tête bien-aimée : ce front et ce regard qu’Angèle voyait nuit et jour, cette bouche qui lui avait dit : je t’aime !

Oh ! et ce sourire ! et ces cheveux si doux qu’un chaste baiser avait mêlés bien souvent avec ses cheveux à elle !

René ! son âme tout entière, son premier, son unique amour !

C’était René ! c’était bien René ! Pourquoi en ce lieu ? et seul ? Attendait-il ? qu’attendait-il ?

La lune tournait ; l’ombre accusait davantage ce sourire qui n’existait pas peut-être. Pour Angèle, René souriait, et si doucement ! et, à travers ces carreaux maudits, René la regardait avec tant de tendresse !

Cela se pouvait-il ? Si René l’avait vue, si René l’avait reconnue, lui dans cette maison, elle dans la rue et sur cette borne, René n’aurait pas souri. Oh ! certes.

Il était bon, il était noble.

Il aurait eu honte, et remords, et frayeur.

Mais qu’importe ce qui est possible ou impossible ? À certaines heures, l’esprit ne juge plus, la fièvre est maîtresse. Angèle tendit ses pauvres mains tremblantes vers René et se mit à lui parler tout bas.

Elle lui disait de ces douces choses que le tête-à-tête des enfants amoureux échange et ressasse pour enchanter les plus belles heures de la vie. La mémoire de son cœur récitait à son insu la litanie des jeunes tendresses. Comme elle aimait ! comme elle était aimée ! Et se peut-il, mon Dieu ! qu’on manque à ces serments qui jaillirent une fois d’une âme à l’autre pour former un indissoluble lien ?

Se peut-il… car il y avait plus que des serments, et René était noble et bon. Nous l’avons dit déjà une fois ; elle se le répéta cent fois à elle-même.

Elle ne sentait point que ses mains étaient glacées et que ses petits pieds gelaient sur le pavé humide par cette froide nuit de février. Elle savait seulement que son front la brûlait.

Un soir, c’était au dernier automne, l’air de la nuit était si tiède et si charmant, je ne sais comment la promenade s’était prolongée le long du quai de la Grève, puis au bord de l’eau, sous ces beaux arbres qui allaient jusqu’au Pont-Marie. Il y avait là des fleurs et de l’herbe autour de la cabane de l’inspecteur du halage ; René voulut s’asseoir ; il