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LA VAMPIRE

du jeune homme : René de Kervoz, et le nom de la jeune fille : Angèle.

Quant au vieux bourgeois, ceux qui ont lu le premier épisode de cette série : la Chambre des Amours, le connaissaient dès longtemps.

Après la scène mystérieuse et presque muette qui eut lieu, vers la tombée de la nuit, dans l’église de Saint-Louis-en-l’Ile, entre cette blonde éblouissante qu’on appelait Mme la comtesse, l’Allemand Ramberg, René et l’abbé Martel, scène dont l’apprenti médecin Germain Patou, d’un côté, et Angèle de l’autre, furent les témoins silencieux, René de Kervoz sortit le premier.

Angèle le suivit aussitôt, comme elle l’avait fait depuis la place du Châtelet.

Elle semblait bien faible ; son pas lent et pénible chancelait, mais ces pauvres cœurs blessés ont un terrible courage.

Il n’était pas nuit tout à fait encore quand René de Kervoz, sortant par la porte latérale, s’engagea dans la rue Poultier, Au lieu de tourner vers le quai de Bethune, comme devaient faire plus tard Germain Patou et « le patron », il remonta vers la rue Saint-Louis.

Sa marche était lente aussi et incertaine, mais ce n’était pas faiblesse.

Ceux qui le connaissaient et qui l’eussent vu en face à cette heure auraient remarqué avec étonnement le rouge ardent remplaçant la pâleur habituelle de sa joue.

Ses yeux brûlaient sous ses sourcils violemment contractés.

Angèle, pauvre douce enfant, avait grandi entre deux cœurs simples et bons, son père d’adoption et sa mère, les deux seuls amis qu’elle eût au monde. Elle ne savait rien de la vie.

Elle ne voyait point le visage de René ; par conséquent elle ne pouvait lire le livre de sa physionomie.

Mais sait-on où elles prennent cette seconde vue ? Il y a une admirable sorcellerie dans les cœurs malades d’amour. Ce qu’elle ne voyait pas, Angèle devinait.

La passion qui bouleversait les traits de René de Kervoz avait dans l’âme d’Angèle comme un écho douloureux et navré.

Elle ne songeait pas à elle-même ; sa pensée était pleine de lui.

Souffrait-il ? Parfois c’est le bonheur qui écrase ainsi.

Elle avait presque aussi grande frayeur de la souffrance que du bonheur.

Et pourtant, d’ordinaire, c’est le bonheur seulement que redoute la jalousie des femmes.