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LA VAMPIRE

flancs, comme le pélican, non point par charité, mais par avarice.

Le sol du cabaret d’Ézéchiel était un peu plus bas que la rue. On y buvait, on y mangeait, on y jouait, on y achetait lignes, hameçons, appâts, gaules, tout ce qu’il fallait, en un mot, pour harponner des poissons, nourris de bagues chevalières.

L’hôtel appartenait à un respectable vieillard, M. d’Aubremesnil, ancien conseiller au parlement, qui n’avait point émigré et vivait à Versailles. Il n’y avait d’habité qu’un pavillon, situé au bout d’un grand jardin, et dont l’entrée était rue Saint-Louis, vis-à-vis des communs de l’hôtel Lambert.

Ce pavillon avait été loué quelques mois auparavant par une jeune dame d’une rare beauté, qui vivait solitairement et s’occupait de bonnes œuvres.

Quand notre homme, le « patron » des maçons du Marché-Neuf, arriva au seuil du bouge à demi souterrain où le brave Ézéchiel était maître après Dieu, il hésita, tant l’aspect de cette caverne était repoussant et obscène. Il y a bien longtemps que Paris a jeté loin de lui ces souillures ; Paris, malgré les exagérations de certains peintres à la plume, est une des villes les moins déshonorées de l’univers. Ce qui, à Paris, serait de nos jours une monstrueuse exception, se rencontre à chaque pas dans les plus beaux quartiers de Londres, cette Babylone de la débauche glaciale et de l’ennui impudique.

Mais les mœurs de Paris, en 1804, gardaient encore l’effronté cachet du Directoire. La lanterne de la Pêche miraculeuse n’éclairait bien que le dehors. Au dedans, c’était un demi-jour brumeux, dans lequel grouillaient des nudités à peine voilées. Une demi-douzaine de femmes étaient là, vautrées sur des sophas de bois recouverts de quelques brins de paille, buvant, jouant ou regardant jouer un nombre égal d’hommes appartenant à la classe abandonnée des batteurs de pavés. Ce n’était pas français, à vrai dire, pas plus que les stupides et froides nuits de Paul Niquet ne sont françaises. On peut regarder ces hideuses choses comme des emprunts désespérés faits à la dégradation anglaise.

Londres seul est le cadre favorable pour ces horreurs sans rémission, ou le vice prend physionomie de torture et où les misérables s’amusent comme on souffre en enfer. À Paris, le vice garde toujours une bonne part de forfanterie ; à Londres, la perdition sérieuse et convaincue nage dans la boue naturellement comme le poisson dans l’eau.

Quiconque a pénétré de nuit dans les spirit-shops de l’ancien