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LA VAMPIRE

de la maîtresse place, en cette même cité de Leipzig, sa patrie.

Si l’on pouvait appliquer un mot divin à ces petites persécutions qui arrêtent un instant, puis fécondent le progrès à travers les siècles, nous dirions que la plus curieuse de toutes les histoires à faire est celle des calvaires triomphants.

Dans cette comédie bizarre et terrible que nous mettrons bientôt en scène sous ce titre : Numéro treize, le docteur Germain Patou aura un rôle.

Le patron répondit ainsi à sa dernière question :

— Petit homme, tu ne parles pas toujours avec assez de respect des choses qui sont à ma garde. Je n’aime pas la plaisanterie à ce sujet ; mais tu vaux mieux que ton ironie, et l’on dit que pour le métier que tu as choisi il n’est pas mauvais de s’endurcir un peu le cœur. Je t’ai connu enfant ; je n’ai pas fait pour toi tout ce que j’aurais voulu.

Patou l’interrompit par une nouvelle pression de main.

— Halte-là, s’écria-t-il. Vous m’avez donné deux fois du pain, monsieur Sévérin, prononça-t-il avec une profonde émotion qui vous eût étonne bien plus encore que l’entrechat à quatre compartiments : le pain du corps et celui de l’âme ; c’est par vous que j’ai vécu, c’est par vous que j’ai étudié ; si je domine mes camarades à l’école, c’est que vous m’avez, ouvert ce sombre amphithéâtre près duquel vous dormez, miséricordieux et calme, comme la bonté incarnée de Dieu…

Sur la main du patron une larme tomba.

— Tu es un bon petit gars ! murmura-t-il, merci.

— Je serai ce que l’avenir voudra, repartit Patou, qui redressa sa courte taille. Je n’en sais rien, mais je puis répondre du présent et vous dire que, sur un signe de vous, je me jetterais dans l’eau ou dans le feu, à votre choix !

Le patron se pencha sur lui et le baisa, répétant à demi-voix :

— Merci, petit homme. Je serais bien embarrassé de dire au juste où le bât me blesse, mais je sens que j’aurai bientôt besoin de tous ceux qui m’aiment… Dis-moi ce que tu as vu.

Ils se reprirent à marcher côte à côte, et Patou commença ainsi :

— Quand je suis arrivé, après l’école, l’abbé Martel était seul avec le gros marchand de chevaux. Ils parlaient de ceci et de cela, de l’arrestation de Pichegru, je suppose, car l’abbé Martel a dit :

« — Le malheureux homme a terni en quelques jours de bien belles années de gloire.

« — Savoir, savoir ! a répondu le gros maquignon ; ça dépend du point de vue ! »