repartit Georges Cadoudal en riant ; il y a temps pour tout. Aujourd’hui, si vos renseignements sont exacts et si vos hommes ont de la barbe au menton, je vais forcer le futur empereur des Français à croiser l’épée avec un simple paysan du Morbihan… ou à faire le coup de pistolet, car je suis bon prince et je lui laisserai le choix des armes. Mais, sur ma foi en Dieu, le pistolet ne lui réussira pas mieux que l’épée, et le pauvre diable mourra premier consul.
fi jeta sous son bras deux épées recouvertes d’un étui de chagrin et poursuivit :
— Redites-moi bien, je vous prie, l’adresse exacte et l’itinéraire.
— Allez-vous tout droit ? demanda la comtesse.
— Non, je suis obligé de prendre le capitaine L… au carrefour de Buci. C’est mon second.
— Un républicain !…
— Ainsi va le monde. Nous nous battrons tous deux, le capitaine et moi, le lendemain de la victoire.
— Eh bien ! reprit la comtesse en battant l’une contre l’autre ses belles petites mains, voilà ce que j’aime en vous, Georges ! Vous jouez avec la pensée du sabre comme nos jeunes Magyars, toujours riants en face de la mort… Du carrefour Buci, vous prendrez la rue Dauphine, les quais, la Grève, la rue, le faubourg Saint-Antoine, toujours tout droit et vous ne tournerez qu’au coin du chemin de la Muette, à deux cents pas de la barrière du Trône. Là, vous verrez une maison isolée, une ancienne fabrique, entourée de marais… Vous frapperez à la porte principale et vous direz à celui qui viendra vous ouvrir : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, je suis un frère de la Vertu.
— Peste ! fit Georges, vos Welches n’y vont pas par quatre chemins ! Et faudra-t-il leur chanter un bout de tyrolienne ?
— Il faudra ajouter, répondit la blonde en souriant comme si cette insouciante gaieté l’eût ravie : Je viens par la volonté de la rose-croix du troisième royaume, souveraine du cercle de Bude, Gran et Comorn ; je demande le Dr Andréa Ceracchi.
— Et après ?
Après, vous serez introduit dans le sanctuaire… et nos frères vous mettront à même de rencontrer aujourd’hui même, en un lieu propice, votre ennemi, le général Bonaparte.
— Un maître homme ! grommela Georges, et qui aurait fait un joli chouan, s’il avait voulu !
Il serra gaillardement la main de la comtesse et se dirigea vers la porte.
Sur le seuil, il s’arrêta pour ajouter :