Page:Féval - La Vampire.djvu/207

Cette page a été validée par deux contributeurs.
204
LA VAMPIRE

René se leva de son haut et mit ses deux pieds nus sur le parquet.

— Il est peut-être temps encore ! s’écria-t-il, rendu comme par enchantement à l’énergie de son âge.

Jean-Pierre secoua la tête et voulut le retenir pour l’empêcher de tomber : mais Germain Patou dit :

— C’est fini, la crise est passée.

Et en effet René resta solide sur ses jarrets.

— Dites-moi tout, reprit René d’une voix basse, mais ferme. Je ne sais rien. Ces trois jours ont été arrachés à ma vie… et bien d’autres avant eux. Je ne sais rien, sur mon salut, sur mon honneur ! Je n’ai jamais cessé de l’aimer. J’ai été fou encore plus que criminel, et cela me donne le droit de la venger.

Jean-Pierre l’attira contre son cœur.

— Nous aurions été trop heureux ! pensa-t-il tout haut. La pauvre femme me disait souvent : « J’ai tant de joie que cela me fait peur ! » Nous sommes vieux tous deux, elle et moi, monsieur de Kervoz, nous ne souffrirons pas bien longtemps désormais… Promettez-moi que vous serez le frère et l’ami de l’enfant qui va rester tout seul.

— Votre fils sera mon fils ! s’écria René.

— Part à deux ! fit Germain Patou. Mais vous ne vous en irez pas comme cela, patron, de par tous les diables ! Hahnemann soigne aussi le chagrin. Votre chère femme à sa résignation chrétienne, et ce fils dont vous parlez : elle va reporter sur lui tout son cœur…

Jean-Pierre secoua la tête une seconde fois et murmura :

— Son cœur, c’était Angèle !

— Et si Angèle n’était pas morte ? interrompit l’étudiant, Nous n’avons pas de preuves…

Cette fois ce fut René qui secoua la tête, répétant à son insu :

— Angèle est morte !

Germain Patou, obstiné dans l’espoir, comme tous ceux dont la volonté doit briser quelque grand obstacle, répondit :

— Je le croirai quand je l’aurai vu.

Jean-Pierre raconta en quelques mots l’histoire de ces pauvres lettres, si naïvement navrantes, trouvées sur l’appui de la croisée, et dont la dernière, celle qui était écrite avec du sang, avait percé le carreau.

René de Kervoz écoutait. Sa force d’un instant l’abandonnait et ses jambes tremblaient de nouveau sous le poids de son corps.

Il tomba sur le lit en gémissant :

— Je l’ai tuée !