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LA VAMPIRE

Les vieux républicains comme vous sont de l’ancien temps tout comme les vieux marquis. Le jour viendra où l’on aura honte de douter, comme hier encore on rougissait de croire.

La chandelle de suif, presque entièrement consumée, bronzait de sa flamme mourante le cuivre du flambeau. Elle rendait ces lueurs vives, mais intermittentes, des lampes qui vont s’éteindre.

Mais la fin de la nuit était venue, et les premières lueurs du crépuscule arrivaient par la porte entr’ouverte.

René de Kervoz, assis sur son séant, était soutenu par Jean-Pierre, tandis que Germain Patou, agitait dans un verre à demi plein un liquide qui semblait être de l’eau pure.

René avait l’air d’un fiévreux ou d’un buveur terrassé par l’orgie.

— Ne me demandez rien, dit-il ; et ce fut sa première parole. Je ne sais pas si je pense ou si je rêve. La moindre question me ferait retomber tout au fond de mon délire.

— Buvez, lui ordonna Patou, qui approcha une cuiller de ses lèvres.

Le jeune Breton obéit machinalement.

— Combien y avait-il de temps que vous ne m’aviez vu, père ? demanda-t-il en s’adressant à Gâteloup.

— Trois jours, répondit celui-ci.

René fit effort pour éclaircir les ténèbres de son cerveau.

— Et n’ai-je point vu Angèle depuis ce temps ! questionna-t-il encore.

— Non, répliqua Jean-Pierre.

— Trois jours, reprit René, qui compta péniblement sur ses doigts. Alors nous sommes au matin du mariage.

Jean-Pierre baissa les yeux.

— C’est vrai, c’est vrai, balbutia le jeune Breton, dont les traits se décomposèrent, Angèle est morte !

Deux grosses larmes roulèrent sur sa joue.

Jean-Pierre se redressa, sévère comme un juge.

— Comment savez-vous cela, monsieur de Kervoz ? interrogea-t-il à son tour.

René pleurait comme un enfant, sans répondre.

Jean-Pierre répéta sa question d’un ton de sombre menace.

— J’ignore tout, balbutia René, Mais j’ai le cœur meurtri comme si quelqu’un m’eût dit : Elle est morte.

— Elle est morte ! prononça Jean-Pierre comme un écho.

— Qui vous l’a dit ?

— Personne.

— L’avez-vous vue ?

Sa dernière lettre, balbutia le vieil homme, dont les larmes jaillirent, était écrite avec du sang et disait : Je vais mourir !…