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LA VAMPIRE

Sa main eut, sous la couverture, un mouvement frémissant, comme s’il eût caressé une chevelure.

— Angèle est morte ! pensa tout haut Jean-Pierre. Je comprends tout ce qu’il dit… tout !

Sa joue était plus livide que celle du malade, et ses yeux exprimaient une indicible terreur.

René se couvrit tout à coup le visage de ses mains :

In vita mors, murmura-t-il, in morte vita ! Toujours le même songe ! La mort dans la vie, la vie dans la mort !… Non… non… C’est le frère de ma pauvre mère… je ne te donnerai pas les moyens de le perdre !

L’attention des témoins redoublait.

— De qui parle-t-il ? demanda Patou après un moment de silence.

— Le frère de sa mère, répondit Gâteloup, est un marchand de chevaux de Normandie, vers la frontière de Bretagne. Je ne sais pas ce qu’il veut dire.

René bondit sur son lit.

— C’est toi, c’est toi, cria-t-il, la vivante et la morte !… C’est toi qui es la comtesse Marcian Gregoryi !… C’est toi qui es Addhéma la vampire !

Il s’était levé à demi ; il se laissa retomber épuisé.

Jean-Pierre passa ses doigts sur son front baigné de sueur.

— Je ne crois pas à cela, au moins ! prononça-t-il entre ses dents serrées ; je ne veux pas y croire ! c’est l’impossible !

— Patron, répondit l’étudiant gravement, je ne suis pas encore assez vieux pour savoir au juste ce à quoi il faut croire. Il n’y a jusqu’à présent qu’une seule chose que je nie, c’est l’impossible ?

Et son doigt tendu désignait la devise latine, courant autour du cartouche qui ornait la cheminée.

La devise disait exactement les paroles échappées au sommeil de René.

Patou poursuivit :

— L’homme a dit longtemps : Cela n’est pas parce que cela ne peut pas être, mais, depuis quelques années, Franklin a joué avec la foudre ; un pauvre diable de ci-devant, le marquis de Jouffroy, fait marcher des bateaux sans voile ni rames, avec la fumée de l’eau bouillante… Vous pouvez me parler si vous avez quelque chose à dire : je sais la légende du comte Szandor, le roi des vampires, et de sa femme, l’oupire Addhéma.

— Moi, je ne sais rien, répliqua rudement Jean-Pierre. Le monde vieillit et devient fou !

— Le monde grandit et devient sage, repartit l’étudiant.