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LA VAMPIRE

L’œil de Patou brilla.

— J’ai lu, la nuit dernière, le plus étonnant de tous les livres, prononça-t-il à voix basse : la Légende de la goule Addhéma et du vampire de Szandor, imprimée à Bade, en 1736, par le professeur Hans Spurzheim, docteur de l’Université de Presbourg… L’oupire Addhéma prenait la vie de ses victimes au marc le franc, pour ainsi dire, vivant une heure pour chacune de leurs années, et courant sans cesse le monde, afin de rassembler des trésors au roi des morts-vivants, le comte Szandor, qu’elle aime d’une adoration maudite, et qui lui vend chaque baiser au prix d’un monceau d’or.

— Et comment s’inoculait-elle la vie d’autrui ? demanda Jean-Pierre, qui avait honte d’interroger ces mystères de la démence orientale.

— En appliquant sur son crâne chauve, répondit Patou, les chevelures des jeunes filles assassinées.

Le gardien poussa un cri sourd et se retint à la croisée pour ne point tomber à la renverse.

— J’ai vu la vampire Addhéma face à face, balbutia-t-il, j’ai vu la propre chevelure d’Angèle, ma pauvre enfant, sur le crâne de la comtesse Marcian Gregoryi !

L’étudiant recula stupéfait.

Il regarda Gâteloup dans les yeux, craignant l’irruption d’une soudaine folie.

Les yeux de Gâteloup se fixaient dans le vide. Peut-être voyait-il ce corps inerte, remontant le courant, le long des berges de la Seine, contre toutes les lois de la nature ; ce corps qui avait allongé le bras pour saisir la jeune fille indécise, penchée au-dessus de l’eau, près du pont Marie.

Le démon du suicide !

Dans le silence qui suivit, on put entendre un bruit qui venait de cette muraille, en apparence pleine, formant la partie orientale de la chambre.

C’était comme le grincement d’une porte sur ses gonds rouillés.

Jean-Pierre et Patou prêtèrent avidement l’oreille.

La porte grinça une seconde fois, puis fut refermée avec une évidente précaution.

— Il y a quelque chose là ! s’écria Germain Patou.

Le patron lui mit la main sur la bouche.

Ils écoutèrent pendant toute une minute, puis, le bruit ne s’étant point renouvelé, Jean-Pierre dit :

— René de Kervoz est de l’autre côté de cette muraille, j’en suis sûr ! Il faut percer la muraille.