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LA VAMPIRE

chemins creux, ils chantent à tue-tête. Paris est ainsi : au milieu de ses plus grandes épouvantes, il rit souvent à gorge déployée.

Paris riait donc en tremblant ou tremblait en riant, car les objections et les raisonnements ne peuvent rien contre certaines évidences. La panique se faisait tout doucement. Les personnes sages ne croyaient peut-être pas encore, mais l’inquiétude contagieuse les prenait, et les railleurs eux-mêmes, en colportant leurs moqueries ! augmentaient la fièvre.

Deux faits restaient debout, d’ailleurs : la disparition de plusieurs étrangers et provinciaux, disparition qui commençait à produire son résultat d’agitation judiciaire, et cette autre circonstance que le lecteur jugera comme il voudra, mais qui impressionnait Paris plus vivement encore que la première : la pêche miraculeuse du quai de Béthune.

C’était, on peut le dire, une préoccupation générale. Ceux qui se bornaient à hocher la tête en avouant qu’il y avait là « quelque chose » pouvaient passer pour des modèles de prudence.

Est-il besoin d’ajouter que la politique fournissait sa note à ce concert ? Jamais circonstances ne furent plus propices pour mêler le mélodrame politique à l’imbroglio du crime privé. De grands événements se préparaient, de terribles périls, récemment évités, laissaient l’administration fatiguée et pantelante. L’Empire, qui se fondait à bas bruit dans la chambre à coucher du premier consul, donnait à la préfecture les coliques de l’enfantement.

Le citoyen préfet, qui ne devait jamais être un aigle et qui ne s’appelait pas encore le comte Dubois, tressaillait de la tête aux pieds à chaque bruit de porte fermée, croyant ouïr un écho de cette machine infernale dont il n’avait point su prévenir l’explosion. Les sombres inventeurs de cet engin, Saint-Rejant et Carbon, avaient porté leurs têtes sur l’échafaud ; mais, du fond de sa disgrâce, Fouché murmurait des paroles qui montaient jusqu’au chef de l’État.

Fouché disait : Saint-Rejant et Carbon ont laissé des fils. Avant eux, il y avait Ceracchi, Diana et Arena qui ont laissé des frères. Entre le premier consul et la couronne, il y a la France républicaine et la France royaliste. Pour sauter ce pas, il faudrait un bon cheval, et Dubois n’est qu’un âne !

Le mot était dur, mais le futur duc d’Otrante avait une langue de fer.

Celui qui devait être l’empereur l’écoutait bien plus qu’il n’en voulait avoir l’air.

Quant à Louis-Nicolas-Pierre-Joseph Dubois, ce n’était pas un âne, non, puisqu’il mangeait des truffes et du poulet,