se détruire elle-même peut être arrêtée au bord de l’abîme par l’espoir de sauver son semblable.
L’homme qui va commettre un suicide est toujours prêt à empêcher le suicide d’autrui.
De telle sorte que deux désespérés, penchés au bord de l’abîme, vont s’arrêter mutuellement et trouver de ces paroles qui conseillent le courage et la résignation.
La jeune fille du quai des Ormes avait fait le signe de la croix, et je me disais : « Hâtons ma course impuissante, j’arriverai trop tard, » lorsque j’aperçus tout à coup, devant elle, le corps qui remontait la Seine, en côtoyant la rive.
Il brillait, ce corps, d’une lueur propre, et il me semblait que le tableau s’éclairait de pâles rayons émanant de lui. J’eus froid dans toutes mes veines. Pourquoi ? Je n’aurais point su le dire.
La jeune fille s’inclina en avant et tendit le bras. Un autre bras, celui du corps, s’allongea aussi vers la jeune fille.
Mes cheveux se dressèrent sur mon crâne et ma vue se voila.
J’entrevis, à travers un brouillard, quelque chose d’inouï et d’impossible.
Ce ne fut pas la jeune fille qui attira le corps à elle, ce fut le corps qui attira à lui la jeune fille.
Tous deux, le corps et la jeune fille, restèrent un instant hors de l’eau, car le corps s’était arrêté et dressé.
Une main morte se plongea dans l’abondante chevelure de la jeune fille, tandis que l’autre main décrivait autour de son front et de ses tempes un cercle rapide.
Puis le corps monta sur la berge, vivant, agile, jeune, tandis que la pauvre enfant prenait sa place dans l’eau tourmentée.
Mais, au lieu de remonter le courant comme le corps, la jeune fille se mit à descendre au fil de l’eau, tournoyant et plongeant…
Je me lançai, tête première, dans la Seine, et je fis de mon mieux. Après avoir nagé en vain un quart d’heure, je me retrouvai, emporté par la dérive furieuse, à la hauteur de ma propre maison, qui est sur la place du Châtelet.
La jeune fille avait disparu.
Au moment où je remontais sur le quai, vaincu, épuisé, désolé, par les degrés de la Morgue neuve, une femme passa devant moi, cette femme qui avait les cheveux d’Angèle.
Je l’arrêtai. Quand elle se retourna, je reconnus la comtesse Marcian Gregoryi, éblouissante de beauté et de jeunesse, mais coiffée de cheveux blonds.
Et, sais-je pourquoi ? sa vue me fit penser à ce corps livide naguère remontait le fil de l’eau.