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LA VAMPIRE

Notre nuit se passa dans une auberge des environs d’Udine. Ma chambre était séparée par une simple cloison de celle où devaient dormir les jeunes époux.

Vers minuit, j’entendis la voix de ma sœur qui s’élevait ferme et dure. Je crus d’abord que c’était une autre femme, car je ne lui connaissais pas cet accent impérieux.

Elle disait :

— Comte, je n’ai point de haine contre vous. Vous êtes brave, vous devez avoir rencontré nombre de femmes pour admirer votre taille noble et votre beau visage. J’ai obéi à mon père, qui est mon maître et qui m’a dit : Celui-là sera ton mari… Mais mon père, en partant de Bangkeli, m’avait dit aussi : Prends ton poignard. Mon poignard est dans ma main. C’est ma liberté. Si vous faites un pas vers moi, je me tue.

Marcian Gregoryi supplia et pleura.

Sais-je pourquoi j’étais du parti de Marcian contre ma sœur ?…

— Oh ! s’interrompit-elle en passant ses doigts effilés dans les cheveux de René, il ne faut pas être jaloux ! Voilà bien longtemps que Marcian Gregoryi est mort.

À la fin de ce mois, qui était mars 1797, les Français, nous chassant toujours devant eux, entrèrent dans Trieste.

Nous étions toutes les deux, ma sœur et moi, le 24 mars, ou le 6 germinal, comme ils disaient alors, dans une maison de campagne située à une lieue de la Chiuza.

Le soir, ma sœur vint me trouver. Jamais je ne l’avais vue si belle. Sa parure était éblouissante, et il y avait des éclairs d’orgueil dans ses yeux.

Elle m’embrassa du bout des lèvres et me dit adieu.

Je n’eus pas le temps de l’interroger. Deux minutes après, le galop de son cheval soulevait des flots de poussière sur la route, et de ma fenêtre je pouvais suivre sa course folle, qui allait déjà se perdant dans la nuit.

Au lointain et dans différentes directions, on entendait la canonnade.

Yanusza, notre nourrice à toutes deux, c’est cette vieille femme qui vous a introduit ici ce soir, monta dans ma chambre et s’accroupit sur le seuil.

— La fille aînée de mon maître est sur le chemin de sa mort ! gémit-elle les larmes aux yeux.

Elle imposa silence à mes questions. Un grand bruit de chevaux se faisait dans la cour.

La voix éclatante de Marcian Gregoryi commanda : « Au galop ! » Et pour la seconde fois la route disparut derrière les tourbillons de poussière.