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cipitamment, à ce que je serais devenue, si j’avais été toute seule ! Notre cousine de Clare a été charmante, oh ! charmante. Tu l’aimeras, quand tu la connaîtras mieux. Elle m’a dit une fois : « Ma fille, vous avez un grand devoir à remplir ; vous êtes bien jeune, mais Dieu vous a donné la force d’âme et l’intelligence. Moi, j’ai les mains liées par mon mari à qui je dois obéissance… »

— Il a l’air de souffrir, et ne commande jamais, dit Suavita.

— Qui ? Le comte de Clare ? le Breton Joulou du Bréhut ? un sauvage du Morbihan ! un homme terrible quand on lui résiste !… Ah ! pauvre amour, tu ne connais pas les maris ! Notre cousine pleure bien souvent… Mais voilà tes jolis yeux qui battent, tu as sommeil.

— Je ne veux pas dormir ! s’écria la fillette, je veux attendre notre père !

— C’est que tu attendras longtemps… et le docteur défend bien qu’on te fatigue… Sais-tu, quand notre père viendra, je te promets de t’éveiller.

Suavita secoua sa blonde tête.

— Quelle pauvre créature je suis ! murmura-t-elle. Mes yeux sont las, ma tête est lourde, et cependant je ne pourrais dormir, si je ne prenais la potion qui m’assoupit tous les soirs.

Ysole glissa un regard vers la pendule ; le jour allait baissant.

— Veux-tu prendre ta morphine ? demanda-t-elle.

— Pas encore… tu ne m’as rien dit. Raconte, je t’en prie…

Ysole désormais semblait préoccupée.

— Où en étais-je ? reprit-elle d’un ton distrait et déjà fatigué. Ah ! j’allais te dire