Page:Féval - La Rue de Jérusalem, 1868.djvu/563

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On aurait pu entendre les battements de son cœur dans sa poitrine.

— Qu’as-tu, chérie ? demanda le général dans la pièce voisine.

— Père, répondit une voix qui était mélodieuse comme un chant, tu as bien fait de mettre ainsi mon lit près de toi, et tu fais bien de ne me quitter jamais. Dès que je m’endors, j’ai ce rêve, ce rêve cruel : je les vois tous deux…

— Tais-toi ! interrompit tout bas M. de Champmas.

La main de Paul quitta le bouton, et il fit un pas dans l’intérieur du salon.

— Pourquoi me taire ? murmura la douce voix. Je me suis tue longtemps, bien longtemps… Et peut-être qu’il m’aimerait, si j’avais pu lui dire comme je l’aime !

Son père lui ferma la bouche d’un baiser.

Paul étreignait son cœur à deux mains.

Il entendit l’enfant qui disait encore :

— Père, écoute mon rêve ; ce n’était pas celui de tous les jours : je rêvais qu’il partait et que j’étais encore muette. J’offrais à Dieu ma vie pour une parole. Tout à coup, il s’est élevé une voix en moi, une voix qui n’avait pas besoin de mes lèvres et qui lui disait tout au fond de mon cœur : j’ai vécu par vous, est-ce par vous que je vais mourir ?

Paul, sans se rendre compte de son action, avait traversé le salon. Il était debout sur le seuil de la chambre à coucher.

— Sortez, Monsieur ! lui cria le général.

Au lieu d’obéir, Paul continua de marcher et vint s’agenouiller près du lit.

Suavita se pencha vers lui, souriante, et lui donna son front à baiser.

Il n’y eut pas une parole prononcée, mais le général les réunit tous deux, pressés sur sa poitrine.


Vers ce même moment, le brillant et courtois vicomte Annibal Gioja des marquis Pallante courait les rues de Paris dans un simple fiacre dont le cocher était notre ancienne connaissance, Piquepuce, un des écuyers de la pauvre reine Goret.

Le charmant vicomte avait un compagnon qui semblait en proie à une allégresse folle.

Il y avait de quoi, en vérité ; le compagnon était un noyé, sauvé de l’eau au moment où il perdait le souffle, un damné sorti de l’enfer : le beau Nicolas, arraché à