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pesant sur la main de Paul, l’attirait vers le canapé placé au coin de la cheminée. Ils s’assirent tous les deux.

Paul Labre répondit :

— Je ne sais… loin, très loin.

— Et pour ne jamais revenir ? prononça le général à voix basse.

Paul répéta d’une voix triste :

— Pour ne jamais revenir.

M. de Champmas lui serra la main de nouveau et se borna à dire :

— Baron ! vous laissez ici de bons amis.

Il y eut un silence. Paul Labre avait les yeux baissés. Le général l’examinait à la dérobée.

— Voulez-vous me dire quel devoir vous avez accompli, baron ? demanda tout à coup M. de Champmas.

Paul tressaillit comme si on l’eût arraché à un rêve.

Quand il prit la parole pour raconter ce qui venait de se passer dans la maison de la rue de Jérusalem, un peu de rouge monta à sa joue.

— J’avais besoin, dit-il en terminant, d’acquérir une certitude au sujet de la culpabilité de cet homme. C’est moi qui l’ai arrêté. Je suis vis-à-vis de lui comme un juré : son innocence m’eût condamné.

Pendant qu’il parlait, le général le regardait toujours.

— Paul, dit-il, mon pauvre Paul, vous êtes un malade d’esprit et de cœur.

Et comme le jeune homme relevait les yeux sur lui, il ajouta :

— J’ai bien un peu le droit de me mêler de cette affaire, puisque c’était moi que ces coquins voulaient frapper. Vous êtes allé chercher la vérité au fin fond de l’enfer, votre âme est digne et bonne… mais laisser vivre un assassin, c’est se rendre complice des meurtres qu’il peut commettre dans l’avenir.

Paul resta froid et murmura :

— Il se peut. Cette idée-là m’est venue.

— Et pensez-vous, poursuivit M. de Champmas, que le témoignage des trois instruments du crime ne soit point nécessaire au châtiment du vrai coupable ?

Paul baissa la tête et ne répondit point.

— Vous partez, continua encore M. de Champmas, avant même de savoir si votre frère sera vengé ?

Les deux mains de Paul couvrirent son visage.

— Je n’ai pas besoin qu’on me le dise,