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avant 1830. Decazes pourrait vous dire comment nous l’avons menée, cette comédie de quinze ans ! Il y avait bien Anglès, Delavau et d’autres, mais quand je suis quelque part dans le troisième dessous, les préfets de police n’y voient plus que du feu. Faut-il dire au roi, ce soir, que vous refusez de le servir ?

» Je n’avais pas dix-neuf ans, mon frère, et pourtant, cet argument ne me toucha point.

» — Il faut dire au roi ce que vous voudrez, monsieur, répliquai-je. Je suis le fils d’un homme qui, après un pareil acte, m’aurait défendu de porter son nom !

» — Vous êtes le fils d’une femme, aussi, monsieur Paul, me dit M. V… froidement. Votre père est mort, de profundis, mais votre mère vit et souffre !

» Il choisit sur son bureau trois petits papiers qu’il tint entre l’index et le pouce pour me les montrer. C’étaient trois lettres de change au bas desquelles je pus lire la signature de ma mère.

» — Elles sont échues, me dit M. V… ; elles ont été présentées, elles n’ont pas été payées ; on les a protestées ; il y a jugement — et prise de corps.

» Je n’avais pas dix-neuf ans ; l’image de notre mère qu’on emmenait en prison passa devant mes yeux, et je courbai la tête.

» — Mais pourquoi me choisir ? demandai-je pourtant, pendant que deux larmes roulaient sur ma joue.

» — Ah ! voilà ! repartit M. V… d’un air bon enfant. Raison d’État, mon fils. Nous