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Une rivale aimée.

Et elle savait que sa rivale était là.

Bien souvent, elle se l’était représentée, brillante et belle, trop belle, hélas ! puisque Paul l’adorait.

Bien souvent aussi elle s’était demandé : Peut-elle l’aimer comme je l’aime ?

C’était une âme douce et tendre ; son amour avait la sainte ardeur d’une religion ; elle vivait par cet amour comme les fleurs vivent de rayons et de rosée.

Cette transformation que Paul admirait naguère était son propre ouvrage. Rien qu’à l’aimer, rien qu’à le lui dire, Paul aurait eu le pouvoir de rompre le lien qui garrottait la pensée de Suavita. Elle était de celles qui ressuscitent sous la première caresse.

Elle resta longtemps immobile et comme écrasée sous le poids de son angoisse. Elle ne pleurait point, ses grands yeux éteints regardaient le vide.

Elle écoutait pourtant ; et il semblait qu’elle eût peur d’entendre.

Un bruit de portes ouvertes et fermées vint de l’intérieur de la maison ; Suavita tressaillit faiblement. Son regard se tourna vers la place occupée naguère par Paul, auprès d’elle.

Tout ce qu’un cœur d’enfant peut contenir de douleur naïve et profonde était dans ce regard.

Ses belles petites mains blanches se croisèrent sur ses genoux et sa tête s’inclina davantage, laissant pendre les boucles affaissées de ses doux cheveux.