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pas lui-même, il avait deviné les premiers battements du sein de Suavita.

Et il désirait si passionnément la faire heureuse !

C’était la parole qu’il lui rendait en allumant la bougie, car Suavita n’était vraiment muette que dans l’obscurité. Dès que ses grands yeux étaient éclairés, ils se mettaient à parler.

Paul interrogea ces beaux yeux éloquents où il lisait si couramment d’ordinaire ; les yeux de Suavita parlèrent, en effet, mais ils parlèrent un langage inquiet, confus, que Paul, étonné, ne sut point déchiffrer aujourd’hui.

C’est que cette langue chère qui leur servait à converser ensemble avait bien peu de mots, et tous les mots qu’elle savait se rapportaient à leur mutuelle situation.

Ils savaient dire, ces mots : combien l’enfant aimait chaque jour davantage et mieux ; comme elle était heureuse quand son ami revenait, triste quand il partait. Ils savaient exprimer aussi, depuis quelques semaines cette douce, cette adorable jalousie de la vierge qui souffre en tâchant de sourire.

C’étaient des mots charmants, mais qui ne pouvaient pas tout dire.

En face d’une idée nouvelle ou complexe, Suavita redevenait muette, ou plutôt elle avait beau parler, Paul restait impuissant à la comprendre, comme si, en tournant la page d’un livre favori, il fût tombé tout à coup sur des lignes écrites en langue étrangère.