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— Vous osez bien entrer dans les auberges, vous ? demanda Vincent.

— La paix ! je te formerai en grand, quand j’aurai fini avec M. Labre. On ne peut pas protéger tout le monde à la fois. Nous irons dans la capitale, où je t’apprendrai l’art de manger des millions, à Bobino, avec des dames, en se rangeant.

— Y a beaucoup d’auberges d’ici à Paris, pas vrai ? demanda l’innocent.

— Autant que de crins sur ta caboche, abruti. Coupe ta langue, je combine.

Vincent Goret, plein de cidre et de nourriture, avait ce songe voluptueux : il voyait une grande route sans fin, toute bordée d’auberges, et il n’en passait pas une.

Il entrait dans chaque, il buvait, il dévorait, et son estomac, prodigieux comme son rêve, n’avait plus de bornes.

Il avalait tout le poiré, tout le lard et toutes les pommes de terre du globe sans en éprouver la moindre incommodité.

— Voilà, dit tout à coup Pistolet qui prit un ton professoral. Le jeune homme du peuple parisien ne connaît pas les chevaux comme l’Arabe du désert. Chaque contrée, chaque truc : le Chinois est pour la porcelaine, l’Américain pour les tabatières-parapluies, qui servent aussi à griller les côtelettes et à ramer les pois verts ; l’Italien pour la fumisterie et chanter des tyroliennes. Sais-tu mener un cheval, bêta ?

— Oh ! dame, oui, répliqua Vincent.

— Et sais-tu où trouver deux chevaux ?

— Tout de même, dans les prés du bas.

— Lève-toi et file !