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XVI

Grand lever du roi.


Pistolet n’avait peut-être pas parlé à Paul Labre dix fois en sa vie, et encore, il y avait bien longtemps de cela. Le caractère réservé et triste de Paul n’appelait point la familiarité, mais il était beau et bon : Pistolet l’avait toujours admiré.

Le gamin de Paris cherche volontiers des termes de comparaison au théâtre. Le théâtre est sa passion et aussi son éducation. Si vous le trouvez lamentablement éduqué, prenez-vous en au théâtre.

Pistolet, au temps où il était simple chasseur de chats, dans le quartier de la préfecture, voyait Paul Labre au travers de ses meilleurs souvenirs dramatiques.

Paul était pour lui le Gauthier d’Aulnay de la Tour de Nesle, le Ravenswood de la Fiancée de Lammermoor, le Müller d’Angèle, le Gennaro de Lucrèce Borgia. Pistolet ne l’apercevait jamais sans se dire : Je donnerais dix sous pour lui mettre un costume à M. Mélingue !

Ce sont de singulières créatures.

Pistolet aimait M. Badoît, mais il adorait Paul comme « l’inconnu » d’un mélodrame à grand spectacle.

Les dernières paroles du fils de saint Louis lui donnèrent froid jusqu’au cœur.

Il n’ignorait pas qu’il avait là devant lui des bandits déterminés.

Il crut à un meurtre.

Certes, il ne songeait plus guère à ce pauvre Vincent Goret, l’héritier de tant de millions, qui n’avait pas déjeuné et qui l’attendait à la lisière du parc. Sa pensée allait droit à Paul Labre, et il se demandait si cette métaphore lugubre : « Sa note vient d’être acquittée », n’annonçait pas qu’il n’é-