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air important. Le monde sont méchants dans ce pays-ci. Moi, je m’intéresse à toi, bancroche. Il y a là-haut un brave Monsieur qui te prendra chez lui, si je veux, et qui te protégera contre les gendarmes.

— Le Monsieur du château neuf ? demanda l’éclopé.

— Juste. Un fameux Monsieur.

— On dit qu’il est sorcier, et qu’il a jeté un sort à ma m’man.

Pistolet haussa les épaules.

— Aimes-tu mieux les gendarmes ? demanda-t-il.

C’est tout au plus si le fils Goret avait envie de faire un choix.

— Y a la rivière, gronda-t-il d’un air sombre. À vivre je ne suis point heureux.

— Bêta ! fit Pistolet qui croyait n’être point compris, tu n’as qu’à attendre un petit peu pour être riche !

Les yeux du gars étincelèrent.

— On m’a déjà dit ça, oui ! prononça-t-il tout bas. Et que toutes les filles me suivraient comme si j’avais un charme ! Et que je boirais à même la bouteille au remède comme ma m’man… L’homme, si j’étais riche, je mangerais la soupe du matin au soir, car j’ai faim toute la journée !

Ceci fut lancé avec une telle énergie que Pistolet, nature littéraire, comme tous les sauvages de Paris, se mit à rire et pensa :

— Cet animal-là gagnerait deux francs par jour à jouer les imbéciles à Bobino !

— En route ! ajouta-t-il, on va te faire vivre et te mettre à l’abri des gendarmes.

Il tourna brusquement le coude du chemin pour monter vers le château.

Vincent le suivit la tête basse.

Tous deux entrèrent dans une brèche du mur en construction et s’engagèrent dans les fourrés du parc.

Pistolet marchait maintenant avec lenteur et précaution ; il semblait laborieusement