Page:Féval - La Rue de Jérusalem, 1868.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’adressa, après avoir caressé du regard les piles de pièces de cent sous.

— Voilà huit jours, dit-elle, tout ça était de la bonne terre, avec du bon bois dessus, oui !

Elle soupira. — Mais elle donna un grand coup de poing dans les piles d’or et se prit à remuer le tout à larges poignées comme on brasse la pâte pour faire le pain.

— À la boulange ! à la boulange ! fit-elle le sang au front et l’ivresse par tout le corps, c’est doux aux mains, ça chante… Si je voulais, je remplirais de pièces blanches et jaunes un coffre haut comme la maison ! Et nom de nom de nom ! je le ferai quand je serai reine, ou pas de bon Dieu !

La comtesse Corona lui toucha le bras.

— Voici un jeune homme, dit-elle, qui demande à parler à Votre Altesse Royale.

La Goret se retourna.

Sur le seuil, il y avait un misérable garçon vêtu de haillons, qui regardait le coffre d’un air stupide.

D’écarlate qu’elle était, la Goret devint toute blême.

— Que viens-tu faire ici, gredin ? demanda-t-elle en un cri qui s’étrangla dans son gosier apoplectique.

— Ma m’man, répondit le pauvre diable en baissant ses yeux mouillés, j’ai grand-faim et j’ai grand-soif. Ils m’ont mis dehors chez les Mathieu pour trente-cinq sous que je leur dois de vaisselle cassée.

— Mes domestiques ! cria Mathurine, secouée de la tête aux pieds par sa colère folle ; battez-le ! chassez-le ! c’est un coquin qui me ruine ! Ah ! vilain ! ah ! vagabond ! Trente-cinq sous ! Va-t’en ! je te maudis ! je te renie ! je te condamne à mort !