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J’ai voyagé pendant de longues semaines dans ces sombres latitudes, regardant, espionnant, quêtant ; j’ai fait des bassesses auprès des employés, grands et petits ; j’ai nourri, j’ai abreuvé des transfuges qui me promettaient monts et merveilles.

Néant. Les transfuges mentaient, les fidèles gardaient le secret.

Mais, en définitive, je n’ai pas perdu mon temps dans ces bizarres et giboyeuses contrées, puisqu’un jour je m’y suis trouvé face à face avec le drame le plus curieux qui me soit tombé sous la main depuis que je tiens une plume.

Revenons à ce drame, dont les comparses sont en scène, séparés du héros par une mince cloison de briques.

Mme Soulas planta son couteau à découper dans le bon morceau de bœuf qui avait fait la soupe.

— Ce jeune homme-là m’inquiète, dit-elle avec une véritable tristesse. Il a du chagrin, bien sûr !

— Chagrin d’amour dure toute la vie… chanta Mégaigne.

Cela ne fit pas rire, parce que Paul inspirait de l’intérêt à tout le monde.

M. Badoît reprit :

— Depuis qu’il a perdu sa défunte mère, il n’a plus goût à rien.

Thérèse ajouta en servant les tranches de bœuf à la ronde :

— C’est tendre comme du poulet !

— Le petit Labre ? demanda M. Mégaigne. Non, le bouilli… ne vous fâchez pas, chère dame, quand on travaille de tête, on a besoin de plaisanter un peu pour se reposer.