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n’y faisait jamais de bruit, et les rapports des habitués entre eux étaient d’une rigoureuse politesse. C’est une chose bien remarquable : ces couches excentriques de notre société auxquelles la considération est refusée, vivent dans un continuel besoin de considération.

La passion de tenir son rang y survit à toutes les humiliations, y résiste à toutes les misères.

Il y a souvent un décavé de la grande roulette du monde sous la redingote râpée de ces proscrits, et cela est si vrai que ceux qui ne sont pas réellement des vaincus se parent de défaites imaginaires.

La mode est ici d’avoir eu des « malheurs. »

Ce sont des pays peu connus, malgré l’énorme curiosité qu’ils inspirent et malgré les livres soi-disant révélateurs qui glissent dans leur titre ce mot à la fois détesté et friand : Police. La portion calme de ce peuple souterrain végète et n’a point l’idée d’écrire ses mémoires ; rien n’est difficile, au fond, comme de confesser ces natures défiantes. Ceux qui prennent la plume sont généralement des révoltés ; ils ont deux besoins : pêcher des lecteurs et se venger : aussi, plaident-ils sans cesse la cause de leur rancune.

Leurs pamphlets sont souvent intéressants, mais ils ne restent point aux étalages des librairies. La prétention même qu’ils affichent de dévoiler certains secrets les rend suspects, et on les supprime.

Moi, je le dis bien haut et tout d’abord, je ne dévoile rien, pour la raison excellente que je n’ai jamais rien pu découvrir.