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descriptible crasse, le rencontra au fond d’un bas chemin et lui demanda un sou pour acheter du pain.

Le fils Gobert lui en donna deux.

C’est comme cela qu’on dissimule son jeu, et, en outre, il y a les deux sous qui sont bénéfice.

Et plus on cache son jeu, notez bien, plus on gagne. Tout est gain, absolument tout.

On ne dépense rien ; bien mieux : on ne peut rien dépenser. Les revenus s’accumulent, enflant démesurément le capital.

Il y a ici une véritable fatalité qui gonfle la fortune.

Seulement, le difficile est d’enfouir ce monstrueux amas de richesses. Il ne faut point hésiter à le dire : les successeurs ont besoin d’un talent plus grand que le fondateur lui-même. L’esprit s’étonne à compter la multitude insensée des actes à double face ; des fidéicommis, des contre-lettres et autres échappatoires de chicane que doit produire un pareil travail.

Et tout cela solide, bien établi, maçonné à la normande et défiant la mauvaise foi des dépositaires !

On admire, on s’effraie. Ces trois générations de Goret ne savaient pas lire.

Mais ils avaient le sens inné de la ruse ; ils savaient se faire servir, et payer au besoin grassement leurs serviteurs, eux qui se refusaient le nécessaire. Ils achetaient au loin de préférence. Du fond de leur ignorance, ils connaissaient, par une intuition particulière aux juifs de toutes les religions le fort et le faible des valeurs.

Ils faisaient l’usure à Paris, à travers une demi-douzaine d’intermédiaires.