Page:Féval - La Rue de Jérusalem, 1868.djvu/31

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tre des salons parisiens !…

» Je ne sais pas pourquoi je te dis cela, Jean, mon frère. J’étais bien enfant quand tu quittas la France. Quand j’appelle ton souvenir, je vois un grand jeune homme souriant et hardi, avec des cheveux châtains bouclés. C’est tout. Les traits de ton visage m’échappent, et je ne t’ai retrouvé parfois qu’en me regardant dans une glace aux heures si rares de mes gaîtés d’adolescent.

» Je voulais t’écrire seulement quelques lignes : un testament, pour te dire avec une brève franchise comment j’ai vécu et pourquoi je meurs.

» Et voilà déjà de longues pages !

» Je ne crois pas que ce soit frayeur du grand moment : je ne cherche pas un prétexte pour retarder l’heure. Non. Notre père était un soldat ; notre mère est morte en souriant ; nous sommes braves.

» J’ai prouvé que j’étais brave.

» Mais je ressens un indicible plaisir à causer ainsi avec toi, mon frère, la dernière goutte de sang vivant qui reste de notre famille, mon unique ami, mon seul parent.

» Et qu’importe une heure de plus ou de moins, puisque ce sera la dernière ?

» J’en étais à te dire comme quoi M. Charles me proposa au chef de la 2e division pour arrêter le général comte de Champmas, conspirateur d’espèce particulière qui voulait réunir en un seul corps de bataille les républicains, les carlistes et les bonapartistes. Paris ne parlait que de barricades, les pavés de la rue Saint-Merri n’étaient pas encore remis en place ; il y avait dans toutes les