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l’appui de ce Lecoq, dont je t’ai déjà parlé, dont je te parlerai encore. La misère était dans la maison, la vraie misère, et ma mère continuait de jouer toujours !

» C’était pour moi qu’elle tentait ainsi la fortune ; elle m’aimait bien.

» Tu n’étais plus là, toi qui l’aurais guidée. Mais je t’ai dit ces choses vingt fois déjà : ma mère était sans ressources, malade, et son état mental m’épouvantait. Pour lui donner, moi, son dernier morceau de pain, j’avais accompli un sacrifice dont la terrible portée m’était tout-à-fait inconnue.

» — Bientôt, je vous mettrai à l’épreuve.

» Ce soir-là, qui décida de ma vie et de ma mort, le chef de la 2e division de la préfecture vint voir M. V… dans son cabinet. Il lui donna un ordre, et M. V… qui obéissait quand il voulait, répondit :

» — Moi, je ne me charge pas de cela ; je suis pour les voleurs. Dans la politique, on attrape des coups de pistolet, et je n’aime pas ça. Mais j’ai un petit bonhomme qui a le diable au corps : un vrai casse-cou !

» — Va pour le petit bonhomme, répliqua le fonctionnaire, pourvu que le général soit arrêté ce soir, sans bruit et proprement.

» Le petit bonhomme, c’était moi.

» Notre mère croyait, elle l’a cru jusqu’à sa dernière heure, que j’avais un petit emploi dans un bureau de commerce.

» Et Dieu sait que j’avais fait de mon mieux pour me placer ! Mais je savais tout ce qu’on apprend aux enfants riches ; j’igno-