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bas ! Mon narré n’est pas de votre goût, peut-être ?

— Quand tu auras fini tes menteries, petiot, nous causerons, répondit l’ancien inspecteur paisiblement. Je connais les couleurs.

Pistolet le regarda avec indignation.

— Patron, dit-il, ma parole d’honneur la plus sacrée, j’ai passé sous silence 75 pour 100 de mes malheurs les plus romanesques. C’est pas vous que je voudrais teindre jamais. Et alors, je revins à Alger avec une caravane et je sus obtenir passage pour ma patrie comme marchand de nougat rouge, dont j’ai fait effectivement le commerce dans une boutique à louer du boulevard, avec l’accent du pays, un burnous, et un turban d’occase.

On pouvait s’y ranger, quoique ça manque de stabilité, étant impossible d’avoir un bail sans payer six mois d’avance. Mais Paris m’a monté tout d’un coup à la tête avec ses voluptés brillantes et ses entraînements pour toutes nos passions.

La première fois que j’ai vu une affiche de Bobino, j’ai été perdu.

J’ai mis mon turc au mont-de-piété pour acheter le vrai costume du jeune Parisien populaire, et je me suis élancé vers mon théâtre ! Ah ! patron ! Mèche était partie, et bien d’autres, mais c’est égal, celles qui restaient m’ont toutes reconnu. Les anciennes avaient parlé de moi aux nouvelles. On m’a fait une rentrée… un triomphe ! et je me suis replongé dans ma vie d’artiste, composée du jeu, du vin, des belles, avec quoi je la passe douce, piquant les matous qui se sont reproduits à foison dans le quartier, car mon absence a valu une loi sur la chasse, et racontant mes malheurs périodiques avec plaisir aux amis.

Pistolet se tut et avala une bonne lampée de Joigny. Badoît lui dit :

— As-tu fini ?

— Pour le moment, oui, patron.