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un coup de filin.

Dans la marine, faut jamais plaisanter. Au bloc !

On m’avait dit que je serais obligé d’attendre cent sept ans avant d’être nommé amiral, et je n’avais mis que trois jours à me faire flanquer au cachot. Vous concevez ? J’étais venu à bord du Robert Surcouf à la nage, à la nage je m’en allai, entre deux eaux, bien gentiment, et j’abordai à Liverpool, où je m’engageai comme déchargeur de charbon, à trois shillings la journée.

Ça paraît bon : 3 francs 15 sous, mais dans ce pays-là, la soupe coûte aussi cher qu’ici le pâté de foie gras : en plus que j’eus des raisons avec un camarade qu’était boxeur de son état.

Il avait dit que Wellington avait plus de jugeote que Bonaparte. Moi, au fond, ça m’est inférieur, mais y a la patrie, pas vrai ? Je répondis : des choux ! Votre Wellington, c’est deux sous le tas, à Paris, dans la saison des primeurs. Il me fit cadeau d’un coup de poing à tuer le rhinocéros du Jardin des Plantes. Je l’éborgnai d’un coup de talon.

« — ’Tis to be sold-out, boys ! regular fun indeed ! » Qui veut dire en français : « Garçons, faut y aller ! invitez vos dames ! »

On nous entoura. Ils avaient tous une envie rouge de voir comment le boxeur allait m’assommer. Tâche ! C’était son œil droit et mon talon gauche qu’avaient travaillé ; je lui fourrai mon talon droit dans son œil gauche et ça fut fini.

En France, on m’aurait mis au violon. Voilà la supériorité des Anglais. Je fus porté en triomphe et on m’offrit vingt-cinq guinées, qui fait six cent vingt-cinq francs, pour aveugler un boxeur noir qu’arrivait de Londres en représentations. Ça me dégoûta dans ma fierté. Je voyageais pour me ranger, pas vrai, et que non point pour servir de pâture aux spectacles publics de l’ennemi.

En conséquence de quoi, j’entrai dans le