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bien campé sur ses jambes courtes, trapu, barbu, fort comme un de ces bœufs nains du Morbihan, dont les aloyaux sont célèbres dans l’univers entier, allait et venait sur son pont, les pieds dans des espadrilles et les mains dans ses poches jusqu’au coude. Il portait un pantalon de peluche et un norouâs à longs poils roussâtres qui en avait vu de rudes.

Il fumait sa pipe en attendant la marée.

Le norouâs, ainsi nommé à Saint-Malo et aussi en Normandie parce que sa solide étoffe combat assez bien les froides rafales des vents de nord-ouest, est un vêtement du genre paletot qui donnerait l’apparence d’un ours au dandy le mieux efflanqué.

Le capitaine Legoff avait l’air d’un ours, même quand il mettait bas son norouâs.

Beau temps, bonne brise de l’est, jolie mer ; on allait sortir de cette terrible passe du Havre en se baladant. Le capitaine Legoff était de joyeuse humeur.

— Sans vous commander, marinier, dit à l’arrière une voix grêle et à la fois enrouée, je voudrais parler en particulier au patron de ces lieux.

L’aide timonier à qui s’adressait ce discours se pencha vivement sur le plat bord.

Évidemment, il avait hâte de contempler la bête curieuse qui pouvait entasser dans une seule phrase tant de hardis solécismes contre la grammaire matelotesque.

Il vit dans l’embarcation amarrée à la traîne un petit homme maigre et nu comme un ver, qui était en train de dénouer un paquet où étaient ses habits.