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cher Monsieur, au nom de la patrie, rendez-moi le service de jeter ce pli à la boîte, au Havre-de-Grâce, situé à l’embouchure de la Seine ; je vous en garderai une reconnaissance éternelle.

» Les Parisiens sont comme cela. Ils devinent tout à l’envers. Ce sont des sorciers brevetés pour se tromper douze fois sur dix.

» Caramba ! mon fils, je séchais de regret, là-bas, à ne plus entendre leurs adorables balourdises ; il n’y a qu’un Paris, vois-tu, qui est bête comme tout le reste de l’univers ensemble. Là-bas, on manque de sornettes ; les gens parlent raison, c’est sinistre. Je n’ai pas pu me passer plus longtemps de Paris. Des nigauderies ou la mort ! C’est moi qui suis au Havre, c’est moi qui mets ma lettre à la poste ; moi, moi-même, moi seul… »

— Il est drôle, le frère Jean ! dit Mme Soulas, Mais ces choses-là, quand ça vient de plus loin que la barrière, ça sent le ranci.

— Il a de l’esprit comme quatre, commença Paul.

— Je ne dis pas, mais…

— Et vous avez raison, maman Soulas ; ce n’est plus ça, quoi ! Je continue :

« Plaisanterie à part, car je ne suis pas revenu pour m’amuser, petit frère, voici déjà du temps que je vis inquiet, là-bas. Ma bonne mère ne m’écrit qu’une ligne à la fin de chacune de tes lettres, et tes lettres elles-mêmes ne me disent rien de ce que je voudrais savoir. Le soir, en me couchant, je me suis demandé pendant deux ans : Que font-ils là-bas ? Quelle est la situation vraie de ma mère ? A-t-elle renoncé à la passion qui fit son malheur ? Surveille-t-elle dignement la jeunesse de Paul ? La mort de quelque