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gnait pas encore les petites affaires ; il aimait d’ailleurs à s’introduire chez les gens titrés et, tout en donnant d’excellents conseils au baron, il devint fort assidu auprès de la baronne, laquelle tout doucement avait trouvé à remplacer ce diable de jeu créole, dont j’ai oublié le nom, par d’autres jeux plus connus en France.

Elle n’était plus déjà, la bonne dame, de la première jeunesse, et l’avenir de son petit Paul l’occupait. Elle était joueuse jusqu’au bout des ongles, comme beaucoup de natures endormies.

Le jeu est la passion des indolents.

Comme la fortune ne s’était jamais montrée prodigue de caresses envers elle, une idée fixe la tenait : elle se figurait que la veine retardée jaillirait enfin quelque jour avec une miraculeuse abondance.

Et elle jouait tant qu’elle pouvait, à tout et partout ; elle jouait au reversis, au boston de Fontainebleau, au whist, au nain jaune, à l’écarté, à la bouillotte ; elle mettait à la loterie ; elle avait, elle aussi, un homme de confiance qui jouait pour elle à Frascati ; pour elle, M. Lecoq avait la bonté de piquer la carte à la bourse.

Antoine Labre n’était pas aveugle ; néanmoins il ignorait à quelles profondeurs la folie en apparence paisible de sa femme avait déjà creusé le précipice.

Quand il l’apprit, il était à la veille d’entreprendre un voyage à la Martinique pour avoir raison de son intendant colonial.

M. Lecoq avait conseillé ce voyage.

Encore une fois, c’est de parti pris que nous abrégeons cette histoire.

Elle est à la fois trop ancienne et trop moderne.

Elle était banale déjà sous la Restauration ; hier, elle emplissait les colonnes des jour-