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tenait à rien, pas même à ses amis.

Une fois, pourtant, son mari lui ayant conseillé de ne point passer des nuits entières à jouer avec quelques jeunes femmes de sa connaissance, un jeu créole où l’on gagnait quelque argent, mais où l’on en perdait beaucoup, la jolie baronne se fâcha et pleura bien plus fort qu’à la mort du planteur, son père.

Je voudrais savoir ce jeu créole pour l’apprendre à quelques chères amies qui s’acharnent au lansquenet, tressé de baccara. Cela varierait leurs plaisirs.

Il est certain que ce jeu créole était pour quelque chose dans le désir qu’Antoine Labre avait de quitter la Martinique. Ce jeu avait aidé beaucoup à l’œuvre des hommes de loi.

Antoine Labre pouvait avoir raison de fuir ; seulement, il se pressa trop. Aux colonies, il ne faut jamais rien laisser quand on part ; c’est la règle : non pas du tout que les gens y soient plus malhonnêtes qu’ailleurs, mais parce que la mer est large.

Aussitôt qu’on a laissé quelque chose aux colonies, le rôle des hommes d’affaires commence à prendre de redoutables proportions. Il faut que tout le monde vive.

Que Dieu me préserve de blesser les gens d’affaires des colonies. Parmi eux il peut y avoir des saints.

Mais depuis que j’existe j’entends toujours conter la même sinistre légende : la légende du colon dévoré par son homme de confiance.

À Saint-Domingue les hommes de confiance tuèrent plus de blancs que les nègres eux-mêmes.

Antoine Labre avait tant de hâte de revoir son pays qu’après avoir réuni deux cent mille francs, pour une part empruntés, il