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lente, très charitable et ignorante jusqu’au miracle, des choses que nos sœurs et nos filles apprennent en France tout naturellement.

C’est le terroir, paraîtrait-il. J’ai connu des créoles délicieuses qui seraient mortes de faim, s’il leur avait fallu apprendre à manger.

D’autres, il est vrai, sont étonnamment âpres à l’école, dès qu’il s’agit de cette terrible éducation qui perdit notre mère Ève.

Ce sont d’adorables femmes.

Le ménage d’Antoine Labre fut heureux tant qu’il valsa au gré de sa femme et que vécut son beau-père ; un planteur de beaucoup de bon sens, qui faisait admirablement ses affaires.

Quand ce brave homme de planteur fut mort, le diable entra dans la maison, sous forme d’avocats, d’avoués, d’huissiers et de notaires.

Le planteur laissait trois filles, ce qui donnait trois gendres.

Aux colonies, les hommes de loi n’y vont pas de main morte. Le partage coûta cinquante pour cent et laissa de très beaux germes de procès.

Vous savez comme toute graine pousse sous ce généreux soleil tropical ; mais aucune autre graine ne grandit si vite et si bien que la semence de procès.

Vous diriez une féerie.

Avec un avocat, un notaire, un avoué, les plantations fondent comme du sucre dans de l’eau.

Antoine Labre avait un fils ; il eut peur, voyant arriver la ruine, et la pensée lui prit de regagner la France où venaient de rentrer les Bourbons. Sa femme, enceinte d’un second enfant, n’y mit aucun obstacle. Elle était vraiment bonne et charmante ; elle ne