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lèvres de Suavita, qui s’entr’ouvrirent et laissèrent tomber ce mot :

— « Mon père ! »

Le marchef chancela et ses paupières battirent, mais il dit :

— Oui, va, appelle papa, bouture de femelle !

Il ne voulait pas croire lui-même à quel point l’émotion le garrottait.

Les dix doigts de ses mains vibraient comme ceux d’une femmelette qui a une attaque de nerfs.

Ses dents grincèrent et craquèrent.

Il montra le poing à un invisible fantôme.

— Ah ! la coquine ! la coquine ! fit-il d’un accent où il y avait des plaintes, c’est encore elle qui va tuer cet ange-là !

Ses mains se rapprochaient toujours. Elles tranchèrent bientôt, rugueuses et brunes, sur le cou blanc de Suavita.

C’en était fait. Pour la première fois, l’assassin allait tuer avec horreur ; mais il allait tuer : c’était sa loi.

Machinalement, avant de serrer l’écrou puissant de ses doigts autour de cette gorge si frêle, il retira sa main droite pour essuyer ses yeux, aveuglés par la sueur.

Sa main gauche toucha le cou de Suavita dont les paupières paresseuses s’ouvrirent à demi.

D’instinct, la main droite du bandit revint vivement à son devoir.

Suavita leva ses deux petits bras faibles, et les noua autour de la nuque du marchef stupéfait. Puis, pesant sur cet appui, elle parvint à soulever sa tête de façon à lui