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TROISIÈME PARTIE.

Chacun savait où était tombé l’ami qu’il avait perdu ; les femmes allaient en pleurant chercher le cadavre de leur mari ou de leur frère. La lune éclairait cette scène funèbre à travers le voile diaphane des brumes d’été. On entendait çà et là des sanglots sourds et des plaintes étouffées.

Les uns trouvaient tout de suite, les autres cherchaient longtemps. Quelques cris de joie s’élevaient au milieu du commun désespoir, lorsqu’une main de sœur ou d’épouse sentait un cœur battre sous une chemise sanglante.

On s’appelait tout bas ; un groupe se rassemblait autour de chaque corps étendu sur le gazon du bog. Morts et blessés étaient chargés sur les épaules et dirigés vers le lac.

Ce fut une lugubre traversée. Les barques partaient l’une après l’autre à mesure qu’elles recevaient leur charge mortuaire. Au milieu du brouillard qui recouvrait l’eau tranquille du Corrib, on entendait le bruit mesuré des rames. Dans la plupart des bateaux, la douleur était muette. Dans quelques-uns, les femmes essayaient en vain d’étouffer leurs déchirants sanglots. Dans d’autres on priait à voix haute, et les versets funèbres du De Profundis s’entendaient, prononcés par des voix invisibles, dans le vaste silence de la nuit.