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DEUXIÈME PARTIE

Paddy secoua sa tête chevelue.

— Il y a trois jours que notre père Gib n’est venu ! répliqua-t-il, trois jours !… C’est bien long d’avoir faim pendant trois jours !

Sa voix s’éveilla subitement, et prit à l’improviste un accent de gaieté.

— Vous ne savez pas, petite sœur ! s’écria-t-il, oh ! le beau rêve que j’ai fait ! le beau rêve !… Il était venu des grands seigneurs voir notre cabane, et l’un d’eux m’avait emmené avec lui… loin, bien loin, au delà des lacs, je ne sais où… J’avais de beaux habits de toile où il n’y avait point de trous. On m’avait donné des souliers à semelles de bois, et mes pieds ne saignaient plus en heurtant contre les branches mortes des bog-pines cachées dans l’herbe du marais… et tant que durait le jour, Su, oh ! ma sœur, écoutez cela ! je mangeais ! je mangeais de grosses pommes de terre, des pains d’avoine et de la viande comme si c’eût été toujours le matin de la Noël !…

Le jour grandissant montrait la lueur avide qui brûlait dans les yeux des pauvres enfants.

Su passait sa langue sur sa lèvre pâlie.

— Des pommes de terre ! murmura-t-elle. Du pain d’avoine !… Ah ! Jésus ! Jésus ! que j’ai faim !