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PREMIÈRE PARTIE.

vieux Mill’s et de ses fils l’avait mise sur un piédestal d’où elle dominait de trop haut ce qu’elle aurait voulu aimer.

Longtemps son cœur, qui cherchait où se prendre, n’avait trouvé autour de soi que froideurs timides et craintes agenouillées. Les fils du vieillard la regardaient d’en bas. Ils s’arrêtaient aux bords du cercle fatal tracé par le culte traditionnel. Aimer l’heiress autrement qu’une sainte du calendrier catholique leur eût semblé un sacrilége.

Jessy elle-même, sa sœur d’adoption, arrêtait souvent avec effroi les élans de sa douce tendresse. Elle avait peur d’aimer trop ; chaque baiser donné ou reçu lui causait une sorte de remords. On eût dit qu’elle voyait encore au front de sa noble parente la couronne d’or de Diarmid des Îles.

Il en est ainsi dans ce coin du Connaught où se réfugia, au temps des conquêtes, la vieille nation irlandaise. Dix siècles ont passé sur ces souvenirs héroïques, et ces souvenirs restent debout.

Ils se dressent après tant d’années, comme ces tours rondes que garde çà et là l’antique sol hibernien et qui marquent, dit-on, la place où se livra quelque grande bataille aux jours