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LES HABITS NOIRS

délicieux rêve. Avait-il pu seulement vivre sans elle ? Comment aimait-il donc sa mère !

Si jamais, oh ! si jamais il lui eût été permis d’espérer la réunion de ces deux profondes tendresses qu’un abîme séparait aujourd’hui !

Sa mère avait dit : « Il y a des choses impossibles ! » mais là-bas, derrière le voile de l’avenir, Justin entrevoyait un sourire d’ange : une tête enfantine, auréolée de cheveux blonds.

Sa fille ! Est-ce que sa mère résisterait aux caresses de sa fille !

Nous l’avons vu arriver au logis de la Gloriette absente, s’asseoir près du berceau vide, transformé en autel, et attendre.

En attendant il prit le portrait photographié de Lily et il eut un sourire ému en prononçant ce mot qui vient à la bouche de tout le monde, quand on voit la trace imparfaite de l’enfant dans une épreuve où la mère est « bien venue » : « Elle a bougé ! »

Elle avait bougé beaucoup, car on n’apercevait qu’un flocon blanc, indécis et confus, quelque chose qui n’avait point de forme et qui pourtant était gracieux ; un nuage souriant.

Mais Lily ! le visage de Lily attirait le regard de Justin comme une fascination. Il y avait de la mélancolie sur ses traits, mais elle était splendidement belle.

Je ne sais quoi disait dans l’amoureux pli de ses lèvres, penchées vers le nuage, qu’elle était venue là pour avoir le portrait de l’enfant uniquement.

Je ne sais quoi disait encore que rien n’existait pour elle en dehors de l’enfant qu’on ne voyait pas, mais qu’elle regardait avec un si doux orgueil.

Tout en elle était charmant, mais sans coquetterie. Je dis trop ou trop peu : il y a des femmes qui, naturellement, ne sont pas coquettes, même dans ce sens restreint exprimant le goût innocent de la parure ; il n’y a que les jeunes mères pour s’oublier tout à fait et pour être adorables malgré elles.

Justin regardait Lily ; Justin lisait toute une belle et chère histoire dans la jeune gravité de ces traits. Les cheveux magnifiques avaient je ne sais quel tour austère, et il fallait la grâce enchantée de la taille pour faire valoir les plis presque maladroits de la pauvre petite robe.

Justin en arriva à deviner et se dit : je ne serai plus que le second dans ce cœur…

Et ce fut de la joie. La place était bonne, à côté de Justine adorée.

Il lui semblait, tant il était heureux, que son premier effort allait retrouver Justine.

La brume était déjà presque tombée que Justin regardait et songeait encore.

Un pas lourd monta l’escalier.

— J’ai été du temps, dit-on dès le carré ; je ne voulais pas revenir sans avoir fait mon possible. Mais rien ! La mère Noblet a perdu la moitié de ses pratiques et dit comme ça que nous en sommes la cause. Les autres, on croirait qu’on leur parle déjà du déluge… Ah !

La voix s’arrêta brusquement sur ce cri. Médor venait d’apercevoir Justin.