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LES HABITS NOIRS

La comtesse ne cacha pas un vif mouvement d’impatience.

— Ne te fâche pas, bonne mère, reprit Justin qui eut un sourire découragé. Tu sais bien que j’ai été fou. Cela me revient encore quelquefois.

Il se leva et sortit.

Deux larmes jaillirent des yeux de la comtesse qui rentra dans son appartement.

Vers huit heures du soir, elle en ressortit et vint demander à l’office si Justin était rentré. Sur la réponse négative des domestiques, elle passa au salon et donna l’ordre suivant :

— Vous direz à monsieur le comte qu’il ne se couche pas avant de m’avoir vue. J’attends ici son retour.

Quand Justin rentra, il était tard. On l’introduisit au salon où sa mère était debout près du seuil. Elle lui dit :

— Embrasse-moi.

C’était un grand amour que Justin avait pour sa mère.

— Il est arrivé malheur ! balbutia-t-il en la soutenant, chancelante dans ses bras.

Puis il ajouta, l’entendant sangloter :

— Qu’as-tu, mère, au nom de Dieu que veux-tu de moi ?

Enfant, il avait eu d’elle, avec des larmes, tout ce qu’il avait voulu. Et depuis qu’il était homme, on le faisait obéir, à Son tour, avec des larmes.

— Embrasse-moi, répéta la comtesse, embrasse-moi de tout ton cœur. Il est arrivé malheur, un grand malheur, et ce que j’ai fait, tu ne pourras peut-être pas me le pardonner !

Justin sourit d’un air incrédule.

Elle lui tendit la lettre ouverte.

Justin y jeta les yeux et tomba brisé sur un siège.

La comtesse se mit à genoux près de lui.

— Tu l’aimes encore, murmura-t-elle, tu l’aimes mieux que moi ! Tu vois bien, tu vois bien ! Jamais tu ne pourras me pardonner !

Justin l’attira vers lui et la baisa au front.

— Je vous pardonne, ma mère, dit-il.

Mais son regard ne quittait pas la pauvre écriture tremblée qui criait à l’aide.

— Dix jours ! pensa-t-il tout haut.

— Je n’ai que toi, répliqua la comtesse comme si on l’eût accablée de reproches. Si tu savais ce que tu es pour moi !

— Ma mère, je vous pardonne, répéta Justin.

Mais il était si pâle que la comtesse, navrée, se couvrit le visage de ses mains en criant :

— Ah ! tu l’aimes ! tu l’aimes !

Justin répondit, portant à ses lèvres, sans le savoir peut-être, le papier où était l’écriture de Lily.

— Vous m’aviez dit : « Veux-tu me faire mourir de chagrin ?… » Ah ! je vous aime bien, ma mère ! Je l’ai abandonnée pour vous !

La comtesse répéta avec une sorte de folie :

— Je n’avais que toi !

— Elle avait l’enfant, c’est vrai, prononça tout bas Justin. Et quand j’ai été parti, l’enfant l’a consolée. À présent, elle est seule…