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LES HABITS NOIRS

homme en qui reposait désormais le suprême espoir de sa vie devait être un fou.

Duchesse de Chaves !

Monsieur le duc poursuivit :

— Je n’ai pas pu. Au lieu de retrouver l’enfant, je n’ai fait qu’entrevoir sa trace.

Ce fut Lily, cette fois, qui saisit sa main et qui la toucha de ses lèvres.

Le duc était très pâle.

— Trace bien fugitive, continua-t-il ; j’ai appris aujourd’hui même qu’une troupe de saltimbanques avait pris passage au Havre, pour l’Amérique, emmenant une petite fille de trois ans, dont le signalement se rapporte…

— La mer ! sanglota Lily. Entre elle et moi, toute la grande mer !

Le duc acheva, et la sueur découlait de son front :

— Alors, je suis venu à vous pour vous dire : Si vous voulez être la duchesse de Chaves, partons. Ma fortune, mon influence, ma vie : tout sera employé à retrouver votre fille.

La Gloriette se leva ; elle jeta ses deux bras autour du cou de cet homme qu’elle ne connaissait pas et qui pouvait mentir.

Elle eût embrassé ses genoux.

Le duc la serra sur sa poitrine avec une sauvage allégresse et l’emporta plutôt qu’il ne l’entraîna vers l’escalier. À la porte de la rue, une voiture fermée attendait. Le duc y fit monter la Gloriette. Les chevaux prirent aussitôt le galop.


À peine la voiture avait-elle tourné l’angle du boulevard Contrescarpe, qu’un fiacre s’arrêta au no 5 de la rue Lacuée. Un beau jeune homme en descendit et s’adressa à une voisine pour savoir à quel étage demeurait madame Lily.

— Elle vient de sortir, répondit la voisine qui était par hasard charitable et qui n’ajouta pas : en équipage, avec un père-aux-écus.

Le beau jeune homme monta. La porte était grande ouverte ; il entra, et son regard ému tomba tout de suite sur le berceau au-dessus duquel pendait le portrait de Lily, tenant dans ses bras l’image confuse de Petite-Reine.

Il s’assit à la place même que Lily venait de quitter et attendit.


XIV

Justin


Le château de Monceaux était une riante demeure, bâtie à mi-côte entre une belle futaie et des prairies qui descendaient à la Loire. Tout ce pays est un jardin où les aspects heureux se déroulent en un tableau serein et riche.

Des fenêtres du château, on voyait dix autres domaines en deçà et au-