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L’AVALEUR DE SABRES

Quand Médor sauta sur le sol du jardin, elle lui envoya des baisers, pleurant, riant tout ensemble et disant :

— Ah ! ah ! Dieu vous récompensera. Vous êtes heureux, vous ! vous allez l’embrasser le premier !


XIII

Le berceau


Quinze jours s’étaient écoulés, quinze misérables jours de tristesse morne et d’angoisse.

Cette nuit où la Gloriette avait vu Petite-Reine, couchée sous un arbre, aux rayons de la lune dans le bosquet du Jardin des Plantes, Médor l’avait rapportée chez elle évanouie.

Le bon garçon, en effet, avait trouvé au pied de l’arbre un petit tas de feuilles sèches qu’il aurait dû connaître, car c’était le troupeau de mère Noblet qui l’avait amassé. Lily l’attendait de l’autre côté de la grille, Lily ne doutait même pas du témoignage de ses sens égarés, elle était ivre de joie.

Elle tomba comme morte quand Médor, au lieu de revenir avec l’enfant dans ses bras, poussa du pied les feuilles sèches qui bruirent et se dispersèrent sous le rayon de lune menteur.

Elle tomba sans pousser même un cri. Ce dernier espoir perdu lui avait brisé le cœur. Médor vint la rejoindre et, franchissant de nouveau la grille, il la souleva ; elle s’éveilla dans son lit, après un long évanouissement.

Médor était assis près d’elle.

Depuis ce moment-là, Médor ne l’avait point quittée. La Gloriette s’était accoutumée à le voir. Il la servait. Sans lui, elle n’aurait pas mangé. Il s’était arrangé un lit de paille dans le bûcher. Il dormait là si légèrement que le moindre soupir de la malade le mettait debout.

J’ai dit la malade, faute d’un autre mot. À proprement parler, Lily n’avait point de maladie, sinon la plus cruelle de toutes : le chagrin, la torture plutôt, qui ne lui donnait point de trêve et qui la minait comme un poison mortel.

Le premier jour, elle avait écrit une lettre de quelques lignes et ce travail l’avait laissée dans un état d’épuisement.

Le second jour, elle mit l’adresse : « À monsieur Justin de Vibray, au château de Monceaux, en Bléré, près Tours. »

Médor avait porté la lettre à la poste.

Le troisième jour, elle vida le chiffonnier mignon qui servait d’armoire à Petite-Reine et en disposa le contenu sur le berceau. Ce fut dès lors une besogne sans fin, comparable à l’agitation que se donnent les enfants pour ranger leur ménage imaginaire.

Tout ce qui appartenait à Petite-Reine, tout ce qu’elle avait touché, les objets de sa toilette, ses jouets, ses pauvres jouets surtout, passés à l’état de relique sacrées, furent étagés sur le berceau qui devint un autel.