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LES HABITS NOIRS

— Dame ! fit pour la seconde fois Médor.

Son oreille saignait, tant il la tourmentait.

— Est-ce qu’il n’y avait pas trop de monde ? continuait Lily avec exaltation et volubilité. On ne pouvait pas voir derrière chaque arbre. Elle est là quelque part, j’en suis sûre, sûre ! Elle aura mis sa tête sur son petit bras, comme elle faisait toujours dans son berceau, et si vous saviez combien j’ai passé d’heures à la regarder dormir ! les belles, les chères heures ! Le bon petit sourire ! Les longs cils plus doux que de la soie ! Et ses cheveux blonds qui s’échappaient du serre-tête pour boucler sur l’oreiller ! Et sa petite haleine tranquille ! Et ses lèvres : deux fleurs unies que je baisais si doucement pour ne pas l’éveiller ! Vous pleurez ! pourquoi pleurez-vous ? Est-ce que vous la croyez morte ?

Médor se fourrait les poings dans les yeux.

Lily haletante et se pendant à la grille poursuivait :

— Moi je vous dis qu’elle n’est pas morte ! Elle fut une fois bien malade, il y eut un instant où le médecin me dit : j’ai peur. Mais moi, je regardai tout au fond de mon âme et j’espérai. Je la retirai de son lit, je la pris dans mes bras et je collai son petit cœur contre le mien, en pensant : il faut que toute ma vie aille en elle, toute la chaleur de mon sang, tout ce que j’ai ! C’était à Dieu que je disais cela, et c’était une si ardente prière ! Elle était froide, je la sentis se réchauffer petit à petit. Elle s’endormit sur mon sein où je la gardai douze heures… Écoutez ! n’a-t-elle pas appelé ?

Elle se fit mal en essayant de passer sa tête entre les barreaux, mais elle ne sentait pas son mal.

Médor, obéissant, écouta de toutes ses oreilles. Il n’entendit rien.

Mais Lily entendait. Une petite voix suave comme un chant venait à elle et lui pénétrait l’âme. La petite voix disait :

— Maman, maman chérie, ne me vois-tu pas ? Je suis là ; viens me chercher !

Lily répéta ces paroles une à une et Médor finit par entendre.

Et Lily regarda tant qu’elle finit par voir.

— Là, dit-elle d’une voix brève et saccadée, au pied de l’arbre ! Sa tête est renversée dans ses cheveux blonds, et ce point plus blanc, c’est sa toque… et sa robe… Ah ! je vois tout, jusqu’à ses jambes bien-aimées et ses bottines qui brillent… Là… je vous dis là… là… !

Son doigt tendu convulsivement tremblait.

Médor écarquillait ses pauvres yeux.

— Alors, cria la Gloriette frappant du pied avec colère, vous ne voulez pas voir !

— Eh bien, si ! dit Médor avec sa crédulité sublime, je veux voir… et je vois ! parole d’honneur !

La Gloriette poussa un long cri de joie et se lança contre la grille pour la briser.

Médor sauta sur la murette, saisit deux hampes et se hissa à la force des poignets. Il était robuste, il put arriver au sommet de la grille et redescendre de l’autre côté. Lily suivait ce travail, haletante et balbutiait des paroles inarticulées.